L'école doit-elle protéger les garçons?

Le Monde, 30-11-2006


Les garçons, espèce à protéger ! Ce titre du Monde de l'éducation de janvier - nouvelle formule - peut choquer dans ce monde qui prône l'égalité des sexes et son corollaire, la mixité de l'éducation. De quoi faut-il donc protéger ces adolescents si machistes ? D'eux-mêmes ? De la compétition avec les filles ? D'un environnement qui offre peu de chances de s'épanouir aux plus défavorisés ? Ou même d'une institution qui, après avoir instauré la mixité, s'est voilé les yeux sur ses conséquences parfois négatives ? Point ne sert d'ergoter, le problème est là. Pour la rédactrice en chef, Brigitte Perucca, " alors que les filles continuent de s'orienter massivement vers des filières sans avenir, qu'elles se dénient le droit à postuler à des carrières scientifiques malgré des résultats scolaires très encourageants, qu'elles sont victimes de violences sexistes graves, il y a sans doute quelque provocation à clamer qu'il faut sauver les garçons. C'est précisément parce que la construction des identités sexuelles semble emprunter, chez les adolescents, un chemin désespérant, parsemé de violences, que nous lançons ce mot d'ordre. Les garçons, ceux des milieux défavorisés, ceux dont l'expression favorite passe par le corps parce que leur parole est trop pauvre, ceux-là mêmes sont en péril et mettent en péril du même coup une cohabitation filles-garçons de toute façon difficile. (...) La mixité, qui nous semble aujourd'hui une évidence et que personne ne songe à remettre en question, pose des problèmes aux adultes ".


COMBATTRE L'ENNUI SCOLAIRE

La mixité a-t-elle été pensée ou n'a-t-elle été qu'une façade ? Selon la circulaire de 1957, " la crise de croissance de l'enseignement secondaire nous projette dans une expérience (de la mixité) que nous ne conduisons pas au nom de principes (par ailleurs fort discutés) mais pour servir les familles au plus proche de leur domicile ". Ce qui expliquerait l'absence de sensibilisation des enseignants à la mixité, ou que ces mêmes enseignants, " s'ils sont motivés dans l'ensemble sur les questions d'égalité entre garçons et filles à l'école, ne se rendent pas toujours compte qu'ils véhiculent des stéréotypes " dans une société où la femme est trop souvent présentée comme une marchandise. La situation est d'autant plus grave que l'on s'éloigne des beaux quartiers, comme en témoignent les agressions - souvent sexuelles - contre des lycéennes. Les garçons réussissent moins bien au bac, " sont plus susceptibles que les représentantes du sexe féminin d'appartenir à la catégorie des élèves faibles " (rapport de l'OCDE). Pour le sociologue Hugues Lagrange, " les garçons les plus jeunes qui ont un mauvais cursus scolaire et ne reçoivent pas là de gratifications doivent chercher d'autres stratégies de déviation et de contrôle de leurs pulsions sexuelles. Or, précisément, ce sont eux qui sont le moins bien armés pour s'engager dans des relations symétriques, fondées sur une acceptation des filles comme égales ".

Les " doués " perdraient-ils leurs moyens face aux " travailleuses " ? Chercheraient-ils hors de l'école un autre univers où ils pourraient s'exprimer, en marge ou contre la société ? D'autant que, selon Macha Séry et Christian Bonrepaux, dans " Voyage au bout de l'ennui ", " découragement, inappétence, manque de motivation, passivité, chahut, transgression : l'ennui scolaire prend des formes multiples et conduit les jeunes à l'échec. Les lycéens ne se satisfont plus d'un enseignement classique qu'ils jugent rébarbatif ". " L'enseignant doit savoir se vendre. L'ennui naît de la répétition. Et ce ne sont pas les mauvais élèves qui s'ennuient, mais les plus imaginatifs.

Aux enseignants de trouver la manière de les intéresser. "Pour sauver la mixité, l'égalité des sexes, faut-il instaurer une discrimination positive à l'américaine afin d'aider les garçons à ne pas perdre pied à l'école ? " L'école républicaine en sortira renforcée ", estime Maryline Baumard.