[Libération.fr, 13/11/2009]
Interview
Jean-Louis Auduc, directeur de l’IUFM de Créteil, publie l’essai «Sauvons les garçons».
Par MARIE-JOËLLE GROS
Et si les garçons représentaient le sexe faible de l’école ? C’est la vision peu commune que propose Jean-Louis Auduc, directeur de l’IUFM de Créteil, dans un essai plutôt convaincant, Sauvons les garçons ! qui vient de sortir (1). Pendant deux années, ce spécialiste du système éducatif français a épluché les données statistiques nationales et découvert une réalité sexuée (lire ci-dessous) d’ordinaire noyée dans la globalisation des chiffres : l’échec scolaire frappe majoritairement les garçons.
Ainsi, sur les 150 000 élèves qui quittent tous les ans l’école sans aucun diplôme en poche, plus de 100 000 sont des garçons. Dès le primaire, ce sont eux qui manifestent le plus de difficultés dans l’apprentissage de la lecture, puis eux qui redoublent le plus, et encore eux qui peuplent en grande partie les cours de soutien scolaire. Regarder les chiffres par genre n’est pas une habitude en France, mais ce nouvel angle de vue permettrait d’affiner les réponses pédagogiques, soutient Jean-Louis Auduc.
Des garçons qui réussissent moins bien que les filles à l’école, est-ce nouveau ?
Les garçons ont longtemps été les privilégiés du savoir. Puis, à partir de la massification, l’obligation scolaire a servi les filles au point qu’aujourd’hui elles se débrouillent beaucoup mieux dans l’institution, du primaire aux classes préparatoires aux grandes écoles. Dès que l’on regarde les chiffres par genre, le grand écart entre les deux sexes saute aux yeux. J’ai voulu verbaliser cette réalité : en France, les garçons sont en grande difficulté scolaire. Et ce déséquilibre est générateur de violences. Etre en échec scolaire crée un sentiment d’immense frustration. Ceux qui vivent ces situations sont tentés de compenser par la force physique, la sexualité. On sait que vers 14 ans, il existe une violence spécifique garçons-filles. Ma finalité, c’est de rétablir plus d’harmonie. Pas en dépossédant les filles de leur succès, mais en permettant aux garçons de réussir eux aussi.
Vous préconisez de revenir sur la mixité ?
Surtout pas. Mais il faut l’améliorer. La mixité s’est imposée sans réflexion préalable. Aujourd’hui, on voit bien que les différences de maturité, de rythmes d’apprentissage, d’intérêts, de rapport au savoir et à l’institution doivent être prises en compte. Il faut un traitement spécifique pour éviter les situations de compétition, les formes de domination. Une solution pédagogique consisterait à créer des groupes de travail séparés pour certains cours, comme le soutien, mais aussi en sciences de la vie et de la terre (SVT) pour pouvoir parler plus librement de sexualité et également lors de travaux d’orientation.
L’orientation professionnelle est une affaire de sexe ?
Rien ne marche mieux en termes d’éducation que l’identification. Or que voit-on ? Des mères qui ont un diplôme et un emploi et qui transmettent ce goût de la réussite à leurs filles. Rien que dans les métiers de l’enseignement, il y a de plus en plus de modèles féminins : des proviseures, professeures, femmes médecins scolaires, etc. Souvent, la seule figure masculine qui entre dans un établissement, c’est le policier de la brigade anticriminalité (BAC). Non seulement les filles ne manquent pas de modèles de proximité, mais c’est également vrai au sommet de la société : Rachida, Rama, Fadela sont des figures de «femmes qui en veulent». Que reste-t-il aux garçons ? Le foot, le rap. Il faut créer des banques de stages spécialement pour eux, pour leur montrer des métiers qu’ils ne voient plus.
Vous évoquez comme «métiers invisibles» ceux qui ont longtemps été exclusivement masculins, comme médecin ou juge. Les choses se sont à ce point inversées ?
C’est un fait, la féminisation a gagné quasiment tous les secteurs d’activité. Et dans le même temps, les métiers qui revenaient autrefois aux hommes, du fait de leur force physique et qui leur assuraient un emploi quoi qu’il advienne, sont ceux qui ont été massivement supprimés au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, dans un emploi, la force n’est plus un critère. Tout cela alimente une crise de l’identité masculine. Le témoignage d’aînés, le tutorat et l’accompagnement peuvent permettre aux garçons de retrouver une place au sein de l’institution, et de s’y sentir bien, d’entrevoir autrement l’avenir, et en harmonie avec les filles.
(1) Editions Descartes & Cie, 13 euros.